Le monde des instants

Le monde des instants

Bleu matin

          Ce bleu. Ce bleu des matins où tout recommence. Ce bleu qui m’a poussé à tant de retard. Je n’ai jamais pu résister à un café près du comptoir, pas loin de l’entrée. Pas sur le zinc. Il faut parler avec les poivrots qui viennent débuter leur course, ou répondre à des engagements de conversation du patron ou de client lambda. Je préfère les écouter de loin, pour profiter de la magie globale de ces moments délicieux. Pouvoir prendre son temps pour défaire le papier du sucre. J’aimais bien quand c’était des petits paysages de ville. J’essayais de reconnaitre, même si je savais parfaitement que ces endroits m’étaient inconnus. Un bref voyage de l’esprit en imaginant ce même bleu matin autour de ces images. Juste le temps de faire basculer le sucre sur le rebord de la tasse, pour un plongeon en demi salto. L’odeur pénètre mon nez et me fait relever la tête. Un coup d’œil sur l’extérieur. Le mieux c’est quand le bistrot se trouve pile poil devant un arrêt de bus ou de tram. Ah les gens. Mon coup de cœur du citadin absolu que je suis, se délecte de ses trottoirs vivant sans retenue. Etudiants, travailleurs, motivés chercheurs de boulot, de rares individus qui comme moi hésitent entre ponctualité et liberté de voler quelques minutes. Mais s’il te plait, pas ici. C’est occupé. Autant que j’aime les gens, je ne suis pas très bavard le matin. Mon cœur et mes yeux mettent du temps à se synchroniser avec le monde présent. Si je ne faisais pas ces haltes retardatrices, je serais toujours beaucoup trop en avance. J’anticipe sur mon temps nécessaire à refaire parti totalement du monde. Mais une fois ici, devant la vie de ville qui s’active, le papier et mon stylo qui m’appellent, il m’est difficile de m’arracher du siège. Certains ressentent cela quand ils se couchent pour dormir ou en trainant sous la couverture avant le levé. Ici je m’éveille. De plus, quand deux voleurs de minutes de retrouve de si bonne heure dans un lieu comme un petit café pop, l’effet s’annule. Pour le moment personne en vue. Je me cale. Je bois la première gorgée. C’est alors que tout devient un ensemble. Les odeurs du bar se mélangeant à celui de la fraicheur extérieure, le bruit des tasses et des bus desservant ses passagers… Elle est en marche. L’usine à moment unique fait son œuvre. Je repense à cette époque où nous pouvions fumer à l’intérieur. Les dessins de la fumée changeant selon son parcours. Epaisse ou légère, une autre évasion, un petit plus à rêver. Là c’était divin. Mais c’est ainsi. Un autre café. Le bleu pali, mais c’est déjà trop tard. Monsieur Carnet-stylo s’agite un peu plus. Je le sens vibrer dans mon sac. Encore deux trois minutes à regarder les silhouettes passées devant la vitre, et je m’en vais. Calme toi monsieur. Plus tard. Je suis déjà et encore en retard.



20/01/2016
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