Le monde des instants

Le monde des instants

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          Mes doigts commencent à blanchir. J’attrape mon sac pour ouvrir mon autre bière. Un clope pour compléter le tableau. Je rejoins ainsi, en partie, Bakounine quand il disait « Les cigarettes et le thé sont les conditions obligatoires de toute délectations poétiques ». Pour moi ça marche aussi avec la bière. A époque différente, mœurs différentes. Je range mon carnet dans la poche de mon blouson. Quelques pas autour du banc, je lis les inscriptions et déchiffre les dessins. Des traces de passage plus ou moins anciens. Des marques d’impatience, des expressions adolescentes pour des amourettes de passage. Tiens ! un SCALP. Rien de bien original. Je me rassois. Deux de mes camardes se pointent. Salut de circonstance pour un lundi post week-end bien chargé. On allume un splif et discutons des éléments marquants des jours précédents. Une bagarre, une rupture, deux ou trois vomissures, les produits testés ou renouvelés… Un samedi-dimanche quoi. Au bout d’une heure, une légère lassitude s’installe. Un long silence, pas désagréable, chacun se laissant porter par ses voyages internes. Nous comprenons que le froid aura raison de notre motivation pour ce soir. Une copine passe vite fait pour taper la bise, et repart aussi sec pour rejoindre un groupe punk rock. C’est le sixième groupe qu’elle teste. Son problème, sa démesure pour la fête, les mecs et la punk attitude. Une fois elle a tenté le reggae. Pas besoin de préciser que la coopération fut plus que brève. Quoiqu’il en soit nous lui souhaitons bonne chance. Nous finissons le dernier joint avec une série de soufflette et on se sépare. Demain je bosse, puis j’aimerai écrire un peu avant de me coucher. Allez, salut les gars. Je lance mes pieds en avant pour amorcer ma vitesse de croisière. J’aime marcher vite. Je me cale au tempo de mes pensées qui contrastent avec le silence qui règne autour de moi. Cette ville est toujours calme en début de semaine. Les derniers bus passent à vide, ralentissant à peine à l’approche des arrêts. Il n’y a personne à l’horizon. Même les éclairages de la ville semblent fatigués. Les rues désertes, gardent encore quelques cicatrices des deux jours précédents. Verres et bouteilles brisées et nouveau graffitis (j’adore). Je m’attarde sur le tableau des superpositions d’affiches dont des bouts ont été arraché. Je prends en photo les compositions les plus sympas. Une évolution sociale d’œuvres involontaires. Des créations faites collectivement par l’expression individuelle. Merveille d’une vie en société. Je pars satisfait de préserver des preuves d’un art défini par la coexistence de nos vies. Je me sens témoin de cette union. On pourrait y voir une incivilité, un acte gratuit de vandalisme. Ou bien juste de l’argent gaspillé car personne ne regarde et encore moins ne lit ce qui est placardé sur les murs. Dès demain ces affiches seront remplacées. Un autre départ, nouvelle couleur, nouvelle ambiance, pour une ville qui poursuit son évolution au fil de ses habitants. Moi en tout cas je serai là pour voir les prochaines réalisations communes à mes concitoyens. Quelle joie de participer à la vie de milliers de gens.  Pour l’heure, calé chez eux bien au chaud, ils préparent leur semaine, chacun à sa manière. Plus qu’une courte distance et je ferai pareil. L’esprit divagant dans cette vision du collectif, je dévale seul cette grande rue piétonne, abandonnée pour ce soir. Serein, apaisé, confiant, car à ce moment présent, la ville m’appartient. 



21/01/2016
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