Suite un banc sale et humide 4
La fraicheur est juste comme il faut ce matin. Face à ce fleuve que j’aime tant, j’inspire à pleins poumons cet air frais. Ce qu’il est bon de sentir le temps s’attarder avec soi à une contemplation. Un regard sur ce qui nous entoure et sur nous à la fois. Je m’en amuse en observant les premières secousses d’activités urbaines. Je consomme paisiblement le décalage de mon existence. Posé sur un autre banc, aussi sale et encore un peu humide que les précédents et les suivants. Chacun de ses bancs nous offrent un paysage différent, un autre angle de vue. Et si je revenais chaque jour sur l’un de ces mêmes bancs, jamais je ne contemplerais exactement le même tableau. Bruits, odeurs, couleurs, tous changent en permanence et ne s’associent jamais de la même façon. C’est pour cela que le temps aussi, ralenti légèrement sa course pour profiter d’une poésie du hasard. Mais je ne me retrouve pas là seulement pour une observation prosaïque. Je tente de faire le point sur ma soirée, post réunion anar. Comme toujours, les discussions ont eu bon train. Les débats ont été vifs. Une petite bousculade se déclara quand un petit groupe de militants verts, surement altermondialistes, voulutt s’approprier les débats par des positions de contestation dure. Culpabilité de chacun dans la responsabilisation écologique, manifestation véhémente rappelant le temps d’une version nihiliste de « la propagande par le fait » … Certes mais dans l’idée de la réappropriation du pouvoir par le peuple, l’environnement en est une conséquence. La charrue n’avance que si les bœufs sont devant. Et pour l’action, nous ne sommes plus au 19ème siècle. J’ai été ravi de voir qu’ils ont gentiment été conviés à être moins unilatéraux, et d’arrêter de vouloir accaparer la parole et ainsi bloquer les discussions. Ayant l’impression d’être face à un choix coercitif (se taire ou partir) ils ont voulu hausser le ton. C’est l’ennui avec les militants. Ils sont absolus. Il faut être pour ou contre eux. La demi-mesure ne peut pas avoir sa place dans leur démarche. Hier soir, ils ont eu affaire à des semi-punks pas encore bourrés. Un service d’ordre qui s’est avéré étonnamment efficace. Sans trop de violence. Inviter toutefois à rester pour participer à la soirée respectueusement, ils ont préféré partir. Donc au début c’était comme d’habitude. Dénonciation d’un système corrompu et incapable, volonté d’abolition de l’Etat criée du fond de la salle… Pour ma part je me suis cantonné à l’espace bouquin. Discutant avec ferveur de littérature et poésie, pas uniquement libertaire ou anarchiste, je n’ai pas vu les heures passées. Une fois tout le monde parti, je me suis retrouvé avec les organisateurs. Je fus surpris par leur position réaliste sur leur statut et leur impact. Ils ont conscience que ce genre d’évènement sert à attirer des individualités, plus que de faire connaitre leurs idées ou leur envie d’action. La jeunesse n’y voit qu’un moyen de contester, de poursuivre sa recherche de soi. Très peu persévèrent sur cette route. L’âge dissout les rêves d’utopie. Les obligations, la responsabilisation programmée des individus leur fait prendre le pas. Je ne juge pas. Ô combien il est difficile de résister, de croire au dénouement de ce combat. D’avoir conscience que l’espoir de voir le rêve aboutir de nos vivants est plus que mince. Qu’il est difficile aussi de lutter en permanence contre la caricature, le catalogage obscur de l’anarchie. Non je ne juge pas les choix que chacun de nous pourrions un jour prendre. Car même les anarchistes veulent subvenir au besoin de leurs familles et savoir qu’elles sont en sécurité. Sans être politiquement raisonnable, ces gens semblent savoir où ils sont dans l’échiquier social et où ils vont. Il est bon de débattre avec en fond cette lucidité. Un incroyable gain de temps et d’énergie. Mais surtout, ce qui m’a plu c’est l’absence de manifestations programmées. Pas de préparation matérielle de prévue de type guérilla pré grand soir, pour soutenir une nouvelle grève-fait-divers. J’y vois la concrétisation de cette lucide conscience d’eux même et la quête de la démarche politique de l’anarchie. Politique dans le sens « La vie de la cité », bien entendu. Le but du groupe, est de travailler sur des méthodes de fonctionnement anarchiste à mettre en place dans la société d’aujourd’hui. Pas de grand soir, ni de révolution nécessaire. Leur volonté est de montrer qu’il existe autre chose. La difficulté étant de rester sur une ligne très fine de légalité administrative pour éviter que les efforts déployés ne tombent pas à l’eau. Comme il se faisait tard, nous n’avons pas plus approfondi. Mais je reviendrai assurément. Un travail d’application concrète afin de promouvoir la vie de l’anarchie. Ça me plait. Hier soir, en rentrant chez moi, je faisais partie d’une colonne Durruti.
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